• Elle avait grandi

    Elle courait. À en perdre haleine, elle courait. Elle s'arrêta brusquement, regarda autour d'elle de ses yeux affolés, fit brusquement demi-tour, poursuivit sa course effrénée. Rien ne lui était familier. Elle s'était perdue. Ici, tout était étrange. Tout était étrange, mais ressemblait à s'y méprendre à ce qu'elle pouvait avoir connu ; sans l'être. Là-bas, la maison de son enfance. Proprette, joliment peinte. Identique à ce qu'elle avait toujours été. Mais, lorsque la fillette s'en approcha, luttant contre la brume invisible qui lui gelait le coeur, et regarda par la fenêtre, elle s'aperçut que la demeure était vide. Bien sûr, les meubles étaient toujours là. Le vieux piano de son grand-père, qui emplissait jadis la maison de notes teintée de joie et de mélancolie ; le vieux fauteuil de son père, dans lequel il lisait chaque jour son journal, pestant de temps en temps, souriant quelque fois ; la vieille porte de la cuisine, qui, tout en grinçant, délivrait d'alléchantes odeurs par les froides soirées d'hiver... Mais le piano était fermé et recouvert de poussière, tout comme le fauteuil. La porte béait sans émettre un son. L'enfant soupira, envoyant un nuage de buée se poser sur la vitre pour s'effacer lentement. Cette maison n'était pas la sienne.

    Presque à contrecoeur, la fillette se détacha de la maison. À mesure qu'elle s'en éloignait, il lui semblait qu'un étau se desserrait lentement autour de son coeur. Elle se retourna une dernière fois pour observer la bâtisse sans vie. Même le petit nuage de buée, de souffle humain, avait disparu.

    Et elle se remit à marcher.

    Dans la rue s'alignaient des maisons, toutes identiques, qui semblaient s'étendre ainsi à l'infini. Depuis quand marchait-elle dans cette rue ? Quand y était-elle entrée ? Sans posséder de réponses, elle cheminait silencieusement, ayant pour seule compagnie le petit fantôme de vie qui s'exhumait de ses narines gelées. Lorsqu'elle tournait la tête, elle pouvait voir sur les fenêtres différents épisodes de sa courte vie. Ils étaient sans saveur, de simples images qui ne signifiaient plus rien. Peu à peu les souvenirs se firent moins denses. La jeune fille finit par ne plus voir dans les fenêtres que son propre reflet. Elle inspira une grande bouffée d'air froid, planta son regard dans le ciel gris et morne, puis commença à marcher, à pas plus vifs.

    Elle avait grandi.

    « Une histoire qui finit bien »

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